La libération des camps et le retour des absents

La libération des camps

En mars 1945, les Alliés lancent leur ultime offensive contre l’Allemagne nazie. Les troupes britanniques, américaines et françaises avancent vers l’est tandis que les troupes soviétiques continuent leur progression vers l’ouest bien que Wehrmacht jette ses dernières forces pour les contrer.

Au fur et à mesure de leur avancée, les armées alliées libèrent les camps. La libération des camps de prisonniers de guerre comme celle des requis du STO se font dans une certaine indifférence. En revanche, celle des camps de concentration est un véritable choc. Les déportés que découvrent les soldats alliés sont hagards et squelettiques et survivent au milieu des cadavres. Les principaux camps de concentration et leurs Kommandossont depuis plusieurs semaines dans une situation chaotique. Des centaines de milliers de déportés ont été évacués des camps et contraints d’errer au travers de l’Allemagne à pied ou en train. Beaucoup sont morts en cours de route, sous les coups et les balles, à cause du froid et de l’épuisement des corps affamés et malades. Les déportés des camps libérés sont les survivants de cette période particulièrement meurtrière de l’histoire du système concentrationnaire où le mépris de l’homme et la désorganisation presque totale a conduit à abandonner, entasser ou enfouir sommairement dans des fosses communes des dizaines de milliers de cadavres là où ils avaient péri.

Le retour des absents

Près de deux millions de prisonniers de guerre, de requis du STO, de déportés - les absents comme les désigne la propagande officielle française - doivent être rapatriés en France dans les mois qui précèdent ou suivent la capitulation de l’Allemagne nazie. La plupart d’entre eux rentrent en avril et mai 1945, même si certains ont pu revenir plus tôt, notamment les Français libérés par les Soviétiques lors de leur progression à l’Est.

Les rapatriements s’effectuent au gré des disponibilités en moyens de transport et des priorités des états-majors alliés. Les prisonniers de guerre ont tendance à être pris en charge plus rapidement car la guerre n’est pas achevée et tout prisonnier de guerre est potentiellement un combattant. Les requis du STO veulent quitter au plus vite également une Allemagne où les conditions de vie se sont considérablement dégradées. Cependant, l’état des déportés perturbe le calendrier des retours. Les plus valides sont rapatriés dès avril 1945. Leurs témoignages, appuyés par les premières photographies prises dans les camps libérés, font prendre conscience de l’horreur du système concentrationnaire nazi. Les plus faibles sont souvent maintenus sur place jusqu’à ce que leur santé leur permette de supporter le voyage vers la France, mais beaucoup meurent avant d’avoir eu la joie de rejoindre leur pays, malgré les soins prodigués.

Le ministère des Prisonniers, déportés et réfugiés, dirigé par Henri Frenay, fondateur du mouvement Combat, est chargé de cette lourde tâche et est l’objet de critiques à chaque dysfonctionnement. Afin de vérifier qui rentre et de procéder plus facilement aux procédures administratives de rapatriement, Paris devient la plaque tournante des rapatriements. La gare d’Orsay est le principal centre de réception des rapatriés, qui pour la plupart arrivent par train. Les personnalités ou les plus mal portants arrivent en avion à l’aérodrome du Bourget. Les déportés sont accueillis à l’hôtel Lutetia, réquisitionné pendant la guerre par l’occupant. Les familles y attendent avec angoisse le retour d’un parent ou de plusieurs, accrochant des avis de recherche sur les murs, sollicitant les rescapés, ne parvenant pas à comprendre pourquoi les réponses sont le plus souvent négatives ou évasives.

Le retour à la vie

L’accueil des absents est bienveillant et chaleureux, au moins au début. La répétition des arrivées entraîne fatalement la banalisation des retours et finalement une certaine indifférence. En outre, la libération est effective depuis plusieurs mois en France et les difficultés de la vie quotidienne ont pris le dessus. Le retour des prisonniers de guerre, des requis du STO et des déportés confirme bien la fin de la guerre en Europe, fêtée partout en France, mais l’heure est dorénavant à la reconstruction, à un futur que l’on espère meilleur, quitte à oublier rapidement le passé. Aussi, le retour en France ne signifie-t-il pas forcément la fin des difficultés pour celles et ceux qui ont connu une période plus ou moins longue de détention et de séparation.

Les prisonniers de guerre doivent s’adapter à une France qui ne ressemble plus à celle qu’ils ont quittée en 1940, une France qui a accordé le droit de vote aux femmes et est dominée par des formations politiques dont la plupart n’existaient pas cinq années plus tôt. Les prisonniers de guerre sont aussi les témoins involontaires de la défaite de 1940 alors que la France veut se présenter au monde comme un des vainqueurs du conflit qui vient de s’achever. Enfin, l’absence prolongée a souvent détendu le lien affectif entre les couples mariés ou en devenir en 1939. Le sentiment d’incompréhension et de solitude est une réalité pour nombre de prisonniers de guerre rapatriés en 1945.

Les requis du STO rentrent avec le statut de victimes, même si parmi eux se trouvent des travailleurs volontaires, qui se sont souvent laissés abuser par les arguments de la propagande nazie ou vichyste. Considérés au moment du retour à l’égal des autres catégories de rentrants par les autorités françaises, afin de maintenir la façade d’une France unie dans la victoire, les requis du STO ne parviennent pas à défendre la légitimité de leur statut de « déportés du travail forcé en Allemagne », le terme « déporté » étant officiellement attribué aux seules victimes des camps de la mort.

A l’arrivée en France, une partie importante des rares survivants parmi les déportés « raciaux » (terme administratif pour les déportés en tant que juifs) se retrouve privée de famille proche, assassinée dans les camps d’extermination. Les organismes d’entraide communautaires s’efforcent d’apporter les soutiens indispensables, surtout quand la disparition de tout ou partie du cercle familial se double de la perte des biens du fait des spoliations. Les enfants qui ont perdu leurs parents sont l’objet d’une attention particulière. Les adultes, jugés moins fragiles, doivent souvent se débrouiller seuls, retrouver un travail rémunérateur et une raison d’espérer, malgré les séquelles physiques et psychologiques de la déportation.

Les déportés « politiques » (terme administratif pour les déportés en tant que résistants, opposants ou otages) sont confrontés à des difficultés comparables, même si l’environnement familial a été moins touché. Cependant, des familles ont pu payer un prix très lourd à leur engagement dans la Résistance : certaines comptent plusieurs déportés, internés ou fusillés parmi leurs membres. La France républicaine manifeste une reconnaissance minimum envers celles et ceux qui ont souffert. Des pensions sont versées, des aides spécifiques sont apportées pour réparer les corps meurtris, dont profitent tous les déportés. Afin de défendre le souvenir de leurs camarades disparus et défendre les droits des survivants et des familles de disparus, des organisations d’anciens déportés se constituent dès 1945, dominées par les « politiques », plus nombreux et disposant de meilleurs relais auprès des dirigeants issus de la Résistance. Ces amicales de camp ou ces fédérations nationales se lancent rapidement dans un intense travail d’entraide, de mémoire puis d’histoire. Elles rendent compte des procès des responsables nazis, elles contribuent à l’érection de monuments commémoratifs. Elles organisent des pèlerinages sur les sites des camps. Elles entreprennent le recueil des premiers témoignages de déportés. Elles soutiennent la création d’une Journée nationale du souvenir des martyrs de la Déportation, instituée en 1954.


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Les témoins
Bibliographie
  • DVD-Rom, Mémoires de la Déportation, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, 2005.
  • FNDIRP, Le Grand Livre des Témoins, Ramsay/FNDIRP, 1995.
  • FNDIRP-UNADIF, Leçons des ténèbres. Résistants et déportés, Perrin, 1995.
  • Pieter Lagrou, Mémoires patriotiques et Occupation nazie, Editions Complexe, 2003.
  • Marie-Anne Matard-Bonucciet Edouard Lynch, La libération des camps et le retour des déportés. L’histoire en souffrance, Editions Complexe, 1995.
  • Jean-Pierre Vittori, Eux les STO, Ramsay, 2007.
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