1830-1880
Métamorphose du territoire à l'ère industrielle : un environnement sous pression
1830-1880
Métamorphose du territoire à l'ère industrielle : un environnement sous pression
Entre 1840 et 1880, la société val-de-marnaise, à dominante agraire et artisanale, bascule vers une société commerciale et industrielle. L’essor du capitalisme, des sciences et techniques accompagne la métamorphose du territoire, tandis que la métallurgie, l’industrie chimique et le recours massif au charbon y suscitent des émissions de plus en plus nocives.
Le Val-de-Marne, intégré dans l’agglomération parisienne qui passe de 1 à 3 millions d’habitants au cours du XIXe siècle, est au coeur de ces mutations. Il remplit des fonctions liées à sa position de satellite : ceinture industrielle, maraîchère, florale et fruitière.
Le territoire se parsème d’industries. Des établissements insalubres (chimie, textile, cuir) et destinés à l’approvisionnement de Paris (matériaux de construction, métallurgie, agroalimentaire) s’installent ainsi à la périphérie immédiate de la capitale et le long des axes fluviaux et ferroviaires, surtout après 1860. Ainsi, parmi des dizaines d’autres, à Choisy-le-Roi, M. Garnand fonde la tuilerie Gilardoni en 1844 et Hyppolite Boulenger la faïencerie Boulenger en 1863.
Les transferts de la capitale se multiplient : Ivry et Vitry* voient arriver les forges Lemoine en 1842, les forges Coutant en 1854, les orgues Alexandre en 1859 et la droguerie Poulenc à Ivry Port en 1862.
Aux mutations de l’économie du territoire s’ajoutent des bouleversements sociaux : la population urbaine du département s’accroît, alimentée par l’exode rural. Des migrants viennent essentiellement du sud du bassin parisien au début du siècle, puis à partir du Second Empire du Massif central et de la Bourgogne. Cette masse de main d’oeuvre contribue à la formation d’un prolétariat ouvrier.
L’urbanisation et l’industrialisation du département se renforcent avec le développement d’un réseau moderne de transport. La Seine est aménagée de manière à devenir une voie navigable toute l’année : des barrages éclusés (Port-à-l’Anglais, Ablon…) sont construits, les cours d’eau sont approfondis par le biais de dragages. Plusieurs lignes de chemin de fer traversent le Val-de-Marne à partir de 1843.
*Comme Ivry, Vitry devient Vitry-sur-Seine lors du décret du 2 mai 1897.
1. Essor de la puissance, les effets du rayonnement parisien
Se moderniser pour construire, nourrir et abreuver Paris
Au XIXe siècle, le territoire du Val-de-Marne s’industrialise et se densifie dans le sillage de la capitale. À partir de 1840, l’essor des lignes de chemin de fer Paris-Orléans, Paris-Lyon et l’aménagement des cours d’eau fluidifient et intensifient la circulation des personnes et des marchandises entre le Val-de-Marne et Paris.
Carrière de pierres à construire Paris : le développement du territoire repose en partie sur l’extraction de ses ressources pour la construction du Paris Haussmannien : le calcaire, le sable, le plâtre et la marne* issus des carrières de Gentilly, Arcueil-Cachan, Villejuif, Villeneuve-le-Roi, Choisy-le-Roi, Ablon.
Terre nourricière de la capitale : la « fin des terroirs » marque le passage d’une agriculture essentiellement vivrière à des cultures spécialisées et diversifiées formant une ceinture maraîchère et fruitière autour de Paris. Celle-ci alimente la capitale dont la population explose au début du XIXe siècle : production de choux (Créteil), betteraves (plateau de la Brie), pommes de terre (Fontenay-sous-Bois), pêches (Vitry) et champignons cultivés dans les anciennes carrières de pierres à bâtir (Maisons-Alfort, Champigny,* Vitry). L’élevage s’y développe (Saint-Maur, Champigny).
Vanne d’alimentation de Paris : face à l’explosion démographique de la capitale et aux progrès de l’hygiène, la ville s’approvisionne en eau potable auprès d’établissements de pompage situés en amont de Paris à Ivry et Vitry (Port-à-l’Anglais) sur la Seine, Joinville-le-Pont ou Saint-Maur sur la Marne.
*Roche sédimentaire tendre formée d’un mélange d’argile et de calcaire.**Champigny devient Champigny-sur-Marne en 1897.
Le barrage d'Ablon-sur-Seine
Érigé en vertu du décret impérial du 18 juillet 1860 sur la construction de 9 barrages en Île-de-France destinés à garantir la navigabilité des cours d’eau tout au long de l’année, le barrage d’Ablon est construit entre 1860 et 1864 sur la rive gauche de la Seine, du côté du chemin de halage. Il est composé d’une passe navigable fermée par des hausses mobiles de type « Chanoine » pouvant constituer la retenue d’eau, d’un déversoir fixe permettant à l’eau excédentaire de s’écouler en cas de trop grand débit du fleuve et d’une écluse qui fournit aux bateaux le moyen de franchir la dénivellation. Les hausses « Chanoine », panneaux rectangulaires fixés sur des chevalets de 3 m de hauteur par 1,30 m de largeur sont fixés au radier, plateforme maçonnée immergée sur laquelle est édifié le barrage, elles sont levées grâce à la pression de l’eau. D’après Jacques-Henri Chanoine, grâce à son système, « deux hommes abattent facilement et sans courir le moindre danger un mètre courant de la passe navigable en 5 secondes et le relèvent en 90 secondes ». Cette écluse peut contenir douze bateaux de 30 m par 5 m.
Une seconde écluse est construite sur la rive droite du fleuve en 1906, là où les bateaux étaient soumis à de longues attentes, à la descente comme à la remonte, dues à l’encombrement de la vieille écluse provoqué par la hausse du trafic. Les parties mobiles sont alors commandées par des moteurs électriques, remplacés ultérieurement par un système de vérins hydrauliques pouvant être noyés pendant les crues alors que les moteurs électriques devaient être démontés.
Lors de la construction du barrage, de nombreux objets archéologiques datant de l’âge du bronze furent retrouvés.
Plan de l’aménagement du barrage éclusé de Créteil 1894
L'usine hydraulique de Saint-Maur-des-Fossés
Située à la limite entre les communes de Saint-Maur et Saint-Maurice, sur l’emplacement des grands moulins de Saint-Maur acquis par la ville de Paris en 1864, et construite d’après le projet de Louis-Dominique Girard de 1863, l’usine hydraulique de Saint-Maur pompe et élève l’eau de la Marne jusqu’aux réservoirs du bois de Vincennes, où elle est utilisée pour l’entretien du bois, et de Ménilmontant, où elle sert à l’approvisionnement de Paris en eau potable.
Composée de deux usines, l’une à vapeur et l’autre hydraulique, elle fournit un volume de 15 000 mètres cubes d’eau par vingt-quatre heures. Sa force motrice vient d’une chute de la Marne créée par un barrage situé entre Joinville-le-Pont et Saint-Maur, son canal d’amenée* prenant naissance à 10 mètres en aval de l’ancien canal de Saint-Maur.
Le puisage de l’eau dans les rivières naturelles, comme la Marne, prend fin en 1890, du fait de leur pollution. Le système « élévatoire » consistant à prélever l’eau brute des rivières pour la distribuer chez les particuliers fait place au système « épuratoire ». La première usine de traitement des eaux par décantation et filtrage du Val-de-Marne est installée à Choisy-le-Roi en 1896, pour servir à l’alimentation en eau potable du sud-est parisien.
*Partie en amont de la voie d’eau du moulin permettant d’amener l’eau vers la roue et d’actionner son mécanisme.
Le canal de Saint-Maur-des-Fossés
Conçu « dans le but d’abréger de trois lieues la navigation sur la Marne dans un endroit où elle devient difficile » (Julien de Gaulle, Nouvelle histoire de Paris et de ses environs, 1841), le canal de Saint-Maur inauguré en 1821 permet aux bateaux d’éviter la sinueuse et périlleuse boucle de Saint-Maur-des-Fossés longue de 13 km. Pourvu d’une partie souterraine creusée dans le roc recouverte d’une voûte en plein cintre et d’une autre à ciel ouvert, il sert au passage de bateaux de commerce et de transport de matériaux de gabarit Freycinet (38,50 m de long par 5 mètres de large) à travers la ville de Saint-Maur, débute sa percée à Joinville-le-Pont pour aboutir à Saint-Maurice. Il est long de 1072 m.
"Tous en guinguette, musette !"
Les guinguettes sont des cabarets populaires en plein air où l’on peut danser. Elles prospèrent entre la barrière et les fortifications où le vin est meilleur marché qu’à Paris au XIXe siècle. Après 1860 elles déménagent aux pieds des fortifications puis sur les bords de Marne.
Plongez dans un récit sur les amanégements hydrauliques !
Découvrez, mise en voix, l'extrait d'un rapport sur la construction d'une gare destinée à améliorer la navigation à Villeneuve-Saint-Georges. (Archives départementales du Val-de-Marne, 3S 50).
Les bords de Marne de Charenton à Nogent, fin du XIXe siècle. Lithographie. 37 x 26 cm. Musée de Nogent-sur-Marne, R90 3 40
Charbonner : entrer dans l'ère du productivisme
Le charbon de terre conquiert le Val-de-Marne au XIXe siècle. Il est importé du Nord et de l'Est de la France et accompagne la diffusion des premières machines à vapeur. Poupard se dote de l'une d'entre elles pour sa fabrique de sucre à La Varenne Saint- Hilaire (commune de Saint-Maur) en 1830. Le charbon permet également l'essor de la métallurgie et de nouvelles pratiques de mobilité comme le chemin de fer et la marine à vapeur qui permettent sa diffusion à travers toute l'Europe.
Le charbon s'ajoute aux autres sources d'énergie, il ne les remplace pas. Dans le Val-de-Marne, plusieurs établissements combinent force hydraulique et vapeur comme le moulin de l'Haÿ associé à une machine à vapeur de la force de douze chevaux à la fin du XIXe siècle.
La houille est appréciée pour son indépendance vis-à-vis des conditions météorologiques et des contraintes des milieux naturels puisqu'elle n'est sensible ni à l'absence de vent, ni au gel. Elle ne nécessite ni eau, ni bois et fournit une énergie continue. En outre, elle offre une alternative aux déboisements des forêts, vivement dénoncés après les coupes massives réalisées sous la Révolution Française.
Elle permet surtout au fabricant de gérer son énergie de façon individuelle et autonome sans avoir à se coordonner avec d'autres pour organiser l'acheminement des flux d'eau, via les barrages, comme l'impose l'énergie hydraulique.
Les forges Coutant
Bien que les forges Coutant soient un des fleurons de la première industrialisation, il n’en reste aucune trace aujourd’hui. Elles s’installent à Ivry en 1850 en remplacement d’une usine construite en aval de la Seine en 1844. Entre 1853 et 1859 pas une année ne passe sans que des autorisations ne soient demandées et accordées : les forges se dotent de chaudières et machines à vapeur de 120 chevaux, de quinze fours à cémenter le fer, de dix-sept pilons et d’un martinet de 80 kg. Leur production est en grande partie acheminée vers Paris où le fer devient une composante des nouvelles constructions à la période industrielle, utilisé pour les charpentes, les planchers et les colonnes qui libèrent ainsi les murs. Les forges Coutant disparaissent en 1895.
Immergez-vous !
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Reconstituer les pièces du puzzle pour découvrir le quai d'Ivry-sur-Seine.
Inauguration de la locomotive routière de Champigny. Jacques Desroches-Valnay. 1869
Autorisation accordée : quand le risque devient légitime
Le décret impérial du 15 octobre 1810, relatif aux manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre ou incommode, uniformise pour la première fois en France la gestion des problèmes causés par les nuisances industrielles et hiérarchise les établissements en classant les industries insalubres selon leur dangerosité. Ce décret marque un tournant idéologique et philosophique dans la gestion des nuisances, en marginalisant la tradition juridique au profit de l’expertise technicienne.
Porté par une élite scientifique industrialiste à l’instar de Jean-Antoine Chaptal, il favorise de fait les industries chimiques, piliers de l’industrie nationale aux usages multiples (verre, textile, hygiène, etc.), mais parmi les plus contestées au XIXe siècle, en ne les classant pas systématiquement dans la catégorie la plus dangereuse.
En outre, les industriels contrevenants ne s’exposent plus qu’à des demandes de dédommagements financiers infligées par les tribunaux civils. Auparavant, les tribunaux pouvaient décider de la fermeture de leur établissement. Cette gestion est renvoyée à la discrétion de l’administration (Préfecture et Conseil d’État), ce qui permet aux industriels d’échapper à la justice pénale. De fait il s’agit de l’abolition du délit de pollution.
L'usine des Hautes-Bornes
L'usine des Hautes-Bornes de la Compagnie Lesage s'installe dans la commune d'Arcueil-Cachan à proximité d'un dépotoir créé en 1852 à la faveur d'une autorisation accordée, en dépit de l'avis défavorable du préfet de police, à titre dérogatoire par le Conseil d'État le 23 mars 1877. Elle fabrique du sulfate d'ammoniaque à partir de vidanges de Paris par dessiccation à froid (déshydratation des déjections) ce qui incommode les proches voisins, puis par traitement à chaud. Ainsi en 1879, quand l'appareillage de l'usine est augmenté, la Préfecture de police voit dans ces extensions une nouvelle dérogation aux conditions de l'autorisation et s'y oppose. Saisi une nouvelle fois, le Conseil d'État, dont plusieurs membres sont actionnaires de l'usine, déboute la Préfecture et ratifie les modifications apportées.
Plusieurs plaintes, pétitions émanant de médecins, riverains, voyageurs écoeurés lors de leur trajet sur la ligne de Sceau des émanations putrides se faisant sentir dans le passage des trains, des ouvriers du curage des égouts déplorant l'infection des liquides non traités provenant de l'usine, sont relayées par les conseillers municipaux de la ville et des communes voisines à la Préfecture de police. Le maire d'Arcueil-Cachan, Émile Raspail, combat pendant dix années l'usine et finit par démissionner arguant le régime de faveur indu ayant bénéficié à la Compagnie Lesage. Après une fermeture de quatre-cinq ans vers 1881, elle ré-ouvre, avant que son activité ne cesse tout à fait.
Prenez connaissances des contestations contre l'installation d'une fabrique de linoléum.
Découvrez, mise en voix, l'extrait d'un discours du conseil municipal Jules Groslous contre l'installation d'une fabrique de linoléum à Orly le 11 février 1883. (Archives départementales du Val-de-Marne, E dépôt Orly 5I 1)
Prenez connaissances des protestations contre la réouverture de l'usine des Hautes-Bornes.
Découvrez, mise en voix, un extrait du registre de délibération du conseil municipal d'Arcueil-Cachan le 21 avril 1887. (Archives départementales du Val-de-Marne, 69J 464)
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2. Pour une nouvelle approche du risque à l'ère du Progrès
Les débuts de la météo
Alerter les navigateurs de l’arrivée des tempêtes, tel était l’objectif de la formation du réseau d’observatoires météorologiques placé sous l’égide de l’Observatoire de Paris, créé après le naufrage du navire Henri IV pendant la Guerre de Crimée en 1854.
Vingt-cinq ans plus tard, le réseau intègre la station météorologique de Saint-Maur née dans le jardin d’un amateur passionné, Emilien Renou, fondateur de la première société savante consacrée à la météorologie. Considérant l’observation météorologique comme un sacerdoce, le polytechnicien consacre sa vie à prendre des mesures à heures fixes et à les résumer. Il revendique une pratique descriptive désintéressée.
En réaction contre cette approche abstraite, des savants comme François-Vincent Raspail participent à l’élaboration d’une science météorologique par et pour le peuple, devant lui être directement utile. S’appuyant sur une méthode d’observation qu’il estime transposable à tous les domaines du savoir, il consigne ses observations quotidiennes dans de petits carnets qui lui servent à établir des prédictions publiées dans des almanachs astrométéorologiques.
À l’ère du Progrès, sciences académique et populaire tâchent de prévoir le temps pour anticiper les événements climatiques et abroger l’aléa et ainsi le risque.
L'observatoire de Saint-Maur
Dans le registre d’observations météorologiques de l’observatoire de Saint-Maur de 1892, le météorologue français Emilien Jean Renou (1815-1902) consigne des mesures instrumentales de température, pression atmosphérique, vitesse de déplacement des nuages, ainsi que des données phénologiques*. Ces mesures ont contribué à étayer son étude sur le climat de la région parisienne, à l’occasion de laquelle il a mis en évidence le phénomène d’îlot de chaleur. Celui-ci se caractérise par une élévation localisée des températures diurnes et nocturnes touchant le milieu urbain par rapport aux zones rurales et forestières voisines ou aux moyennes régionales.
*Phénomènes périodiques de la vie des plantes ou des animaux, germination, migration, hibernation liés aux variations de températures saisonnières
Le néphoscope
Un néphoscope est un instrument permettant de mesurer la vitesse, la hauteur et la direction des nuages. Composé d'un disque de verre noir, l'observateur doit aligner le sommet du pointeur avec l'image du nuage sur le verre. Une fois le nuage repéré il peut évaluer sa vitesse de déplacement et suivre sa trajectoire en observant son image se déplacer sur le disque. Cet appareil a été mis au point par un météorologiste suédois en 1886.
Le barographe
Un barographe est un baromètre enregistreur traçant la courbe des pressions atmosphériques. Lorsque la pression augmente, le tube dont il est constitué s'enroule, lorsqu'elle diminue il se déroule, ces variations sont matérialisées par le tracé d'une plume à l'encre sur une feuille fixée au tube. Le modèle de barographe présenté date de 1882, il n'a été fabriqué qu'à quelques exemplaires.
Une menace microscopique
Au XIXe siècle plusieurs épidémies de choléra ont lieu à Paris et dans l’actuel Val-de-Marne. Cette maladie du siècle est étudiée par Robert Koch qui met en évidence son bacille en 1884 et reprend les travaux antérieurs de John Snow sur le rôle de l’eau dans sa transmission, et non de l’air, comme on le croyait jusqu’alors.
Médecins, ingénieurs, élus locaux, parlementaires et hauts fonctionnaires, qui sont les protagonistes de l’hygiène publique au XIXe siècle, font rapidement le lien entre l’épidémie et l’insuffisance des égouts et réseaux d’eau potable dans le sud-est parisien.
Pourvu de plusieurs usines de pompage, à Saint-Maur (1865), Maisons-Alfort (vers 1870) et Ivry (1881), le département approvisionne surtout la capitale en eau potable au xixe siècle. À partir de l’épidémie cholérique de 1891, l’administration préfectorale impose à la Compagnie des Eaux, qui gère l’approvisionnement de Paris, de filtrer l’eau afin d’en améliorer la qualité. Des bassins filtrants sont installés. Le département commence à alimenter les immeubles de ses communes en eau, mais les disparités avec Paris persistent à la fin du siècle. 89 % des immeubles de la capitale sont approvisionnés contre 39 % à Choisy-le-Roi, 34,5 % à Ivry et 19 % à Vitry.
Une politique d’assainissement est mise en oeuvre au sein de l’agglomération parisienne. Circonscrite au département de la Seine en 1880, elle devient une entreprise interdépartementale englobant la Seine-et-Oise à partir de 1920.
Gentilly, les cuves des tanneurs au bord de la Bièvre
Il était une fois la Bièvre, égoût à ciel ouvert
Egout à ciel ouvert bordé d’ateliers et industries polluantes, la Bièvre est canalisée, déviée puis enterrée aux XIX-XXe siècles. Un petit siècle s’écoule entre le portrait qu’en trace Victor Hugo en 1831 « ruisseau de moire et de soie » aux « eaux poissonneuses » et la déploration de Joris-Karl Huysmans en 1890 « la Bièvre coule, scarifiée par les acides. Globulée de crachats, épaissie de craie, délayée de suie, elle roule […] d’indescriptibles résidus qui la glacent, ainsi qu’un plomb qui bout, de pellicules ». Dans cet intervalle se lit l’histoire d’un désastre écologique.
Blanchisseries et tanneries (expulsées au XVIIIe siècle du quartier des Gobelins à Paris) remontent le cours de la Bièvre et s’installent à Arcueil-Cachan et Gentilly.
Après la vente et l’éclatement des grands domaines qui flanquaient le cours d’eau à la Révolution, la levée de la taxe pour le curage de la Bièvre devient plus malaisée : les propriétaires sont très nombreux et souvent en conflit. Cette difficulté, ajoutée aux errements des autorités désignées après la Révolution pour gérer le nettoyage du cours d’eau, aboutit à la lente dégradation de la Bièvre.
Déversoir des ateliers, fabriques puis industries attenantes et des égouts des localités voisines, s’en dégage « une puanteur insupportable » qui, indique le maire d’Arcueil- Cachan en 1866, aurait causé plus de décès que le choléra.
Pour endiguer ces pollutions, un projet d’égout départemental voit le jour en 1874. Mais les problèmes de salubrité et les plaintes des riverains ne cessent pas. La préfecture de la Seine décide de recouvrir et canaliser une première partie de la Bièvre à Arcueil-Cachan en 1899. Le couvrement se poursuit dans le Val-de-Marne jusqu’au milieu des années 1950.
Plongez dans un récit des inondations de 1858 !
Découvrez, mise en voix, l'extrait d'un ouvrage de Maurice Champion revenant sur les inondations de 1858. (Maurice Champion, Les inondations en France depuis le VIème siècle jusqu'à nos jours, Paris, 1864, Archives départementales du Val-de-Marne, AA 3738)
3. " Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme " Antoine Lavoisier, des limites entre progrès et recyclage
De la modernité : alertes critiques et alternatives
Métaphore du progrès, de la modernité et de la prospérité du capitalisme industriel sous le pinceau des impressionnistes, les fumées des établissements industriels sont dénoncées par des médecins, ingénieurs, ou encore conseillers municipaux comme portant atteinte à la salubrité de l’air, comme cause de maladie et de mort. Emile Raspail, maire d’Arcueil-Cachan, démontre par exemple le lien entre l’implantation de l’usine des Hautes-Bornes dans sa ville entre 1870 et 1885 et la progression de la mortalité. Les risques d’incendie, d’explosion, de déraillement ou de « rencontre meurtrière » de locomotives ou bateaux à vapeur font l’objet de vives critiques.
La menace d’épuisement du charbon, son coût et la dépendance qu’implique son utilisation à grande échelle, pour un pays à faible production comme la France vis-à-vis de pays mieux dotés, incitent les industriels à imaginer des solutions alternatives à la vapeur. Antoine Andraud par exemple, dépose un brevet pour la technique de la locomotion à air comprimé qui est reprise par Mékarsky dans les tramways saint-mauriens et nogentais.
Mais ni le Progrès ni la technique ne sont remis en cause par ceux-ci. C’est vers la science qu’ils se tournent pour chercher des solutions aux problèmes nés avec la modernité.
« Je sens comme le sublimé corrosif me courir jusque dans la moelle des os ».
Dans cet essai le médecin François- Vincent Raspail décrit sous la forme d’un récit littéraire et philosophique les maux dont souffre un de ses patients qui absorbait quotidiennement un comprimé de camphre (utilisé pour combattre le choléra) raffiné dans une usine fabriquant également du sublimé corrosif* et des sels arsenicaux. Il analyse les causes de la détérioration de son état de santé : un empoisonnement dont la responsabilité revient à l’industrie fabriquant substances nocives ainsi que produits alimentaires et médicinaux dans les mêmes locaux, annihilant et pervertissant leurs vertus nutritives et prophylactiques. Au-delà de cette analyse, il livre une plaidoirie contre un système encourageant et protégeant les industriels au détriment parfois de la santé publique.
*Chlorure mercurique pouvant être employé comme antiseptique, mais très toxique.
De l'âge du recyclage à son effondrment
Entre 1830 et 1880, la ville parvient difficilement à apporter la quantité de déchets organiques et minéraux nécessaire à la production industrielle et agricole qui s’intensifie sous la pression urbaine. En plus des matières traditionnellement exploitées, les ingénieurs tentent de recycler les déchets industriels, pour justifier les activités polluantes. C’est l’âge d’or du recyclage.
En plus des os traités chimiquement par de l’acide sulfurique pour produire des engrais très riches en phosphate (les superphosphates), la principale source de résidus industriels utilisée pour l’agriculture provient des usines de gaz d’éclairage. La distillation du charbon produit un sulfate d’ammoniaque contenant de l’azote utilisé comme engrais. Mais les agriculteurs rechignent à les employer, car ces acides corrodent les machines agricoles.
Autre tentative de réutilisation de déchets urbains : eaux d’égout et eaux-vannes (ex-vidanges) parisiennes sont épandues sur les champs autour de la capitale, à Clichy, Gennevilliers puis à Créteil à partir de 1884. Les vertus fertilisantes de ces eaux ménagères et chargées d’excréments font néanmoins débat.
Ainsi jusqu’en 1880, le tri, le réemploi et le recyclage (intégrant désormais les déchets industriels) sont privilégiés. Mais la plupart des déchets n’est pourtant pas recyclée, les immondices s’accumulent : entre ville, industrie et campagne, une « rupture métabolique » se profile.
Le gazomètre
« Pareil à [une] colonne monstrueuse » (Maupassant), un gazomètre est un réservoir destiné à emmagasiner du gaz de ville (gaz manufacturé) pour éclairer et chauffer les grands centres urbains avant l’avènement de l’électricité. Datant de la chimie moderne, ce gaz émane des découvertes d’Antoine Lavoisier. Il procède d’une tentative de recyclage des rebus de l’industrie charbonnière puisqu’il est issu de la pyrolyse de la houille (décomposition du charbon, composant organique, par une augmentation de sa température).
La fabrication de superphosphates
L’avis d’enquête porte sur un établissement fabriquant des supersphosphates, premier engrais minéral à avoir été synthétisé. Il est obtenu par l’attaque chimique d’une roche phosphatée par de l’acide sulfurique. L’utilisation excessive de ce produit dans l’agriculture, notamment son usage préventif ou en combinaison des engrais azotés, peut entraîner une eutrophisation* des rivières.
*Augmentation excessive de la teneur en matières organiques d’un milieu aquatique.
Découvrez vite la troisième partie !
Avant de nous quitter, passez à la troisième partie de l'exposition ou découvrez la visite à 360° !
1880- 1945- De la belle époque aux prémises de la "grande accélération"
Crédits
L'équipe de l'exposition virtuelle
Direction : Rosine Lheureux
Pilotage : Rosine Lheureux et Zoï Kyritsopoulos
Conception et réalisation (d'après les textes et le graphisme du catalogue de l'expositon) : Julia Moro et Cédric Desbarbès
L’équipe de l'exposition
Direction : Rosine Lheureux
Pilotage : Rosine Lheureux et Zoï Kyritsopoulos
Commissariat de l’exposition : Élodie Belkoff accompagnée de Mélanie Canty
Textes de l’exposition et du catalogue : Élodie Belkoff
Réalisation de la version virtuelle de l'exposition : Julia Moro et Cédric Desbarbès
Application cartographique :
Conception et réalisation scientifique : Mélanie Canty et Julia Moro.
Conception et réalisation technique : Jeannie Marchand (Service de l’Information géographie et Cartographie/ Direction de l’Aménagement et Développement Territorial) et Mathilde Bayle (sigec/dadt)
Conception et réalisation des vues à 360° : Cédric Desbarbès et Julia Moro
Réalisation des enregistrements sonores : Cédric Desbarbès
Les voix utilisées pour les enregistrements sonores ont été réalisées par les agents des Archives départementales : Kamel Amichi, Eric Bernard, Mélanie Canty,Thierry Casamayor, Cédric Desbarbès,Eric Jingeaux,
Rosine Lheureux, Camille Malandain et Sylvie Mercieca.
Exposition à 360° : Cédric Desbarbès et Julia Moro
Suivi du partenariat à la Délégation du Développement Durable : Lucia Magnaud
Animation vidéo :
Scénario : Mélanie Canty,
Réalisation : Thierry Casamayor
Carte introductive :
Conception : Zoï Kyritsopoulos
Réalisation : Jeannie Marchand (sigec/dadt) et Catherine Bonnadier (sigec/dadt)
Prises de vue : Fabienne Marié-Maillet
Régie des oeuvres : Camille Malandain
Graphisme et impression de l'exposition
Scénographie : Agence Métaphore{s – François Payet
Conception graphique communication et signalétique : Caroline Pauchant
Conception et réalisation graphique du catalogue : Caroline Pauchant et Hartland Villa
Encadrement : Atelier des 4 vents
Impression et pose de la signalétique : Expograph – Jérôme Rozet
Impression du catalogue : Grenier
Crédits photographiques
Archives départementales du Val-de-Marne, Archives municipales d’Ivry-sur-Seine, Musée de Nogent-sur-Marne, Météo-France, l’Académie des sciences.