1976-1992 : Face aux alertes environnementales, quelles voies de développement en Val-de-Marne ?
1976-1992
Face aux alertes environnementales, quelles voies de développement en Val-de-Marne ?
À la suite des chocs pétroliers orchestrés par les pays exportateurs de pétrole (OPEP) au lendemain de la guerre du Kippour (1973) et de la révolution iranienne (1979), deux crises économiques mondiales révèlent les limites de la croissance infinie dans un monde aux ressources finies, donnant raison aux conclusions du rapport du Club de Rome de 1972, le rapport Meadows, sur les limites de la croissance. Durant les années suivantes dites « années grises » une mutation structurelle de l’économie française est à l’oeuvre.
Le déclin des grandes industries et le développement du secteur tertiaire facilité par l’essor des nouvelles technologies font basculer la société dans la troisième révolution industrielle. Alors que le chômage de masse s’installe – le secteur tertiaire étant moins pourvoyeur d’emplois que le secteur secondaire – un sentiment de crise ébranle la société. Ainsi la petite couronne de Paris perd les grandes industries qui avaient été le moteur de sa croissance : la SOGEV (Société Générale du Vide) à Choisy-le-Roi ; SKF (Svenska kullager fabriken, roulement à billes), Fernand Genève, Fives-Lille-Caill, Schneider à Ivry-sur- Seine ou FACOM (Société franco-américaine de construction d’outillage mécanique) à Villeneuve-le-Roi. Avec elles disparaissent certaines nuisances et pollutions, comme celles de la fonderie de Choisy-le-Roi dénoncées par les riverains auprès du ministre de la Protection de la nature et de l’environnement en 1972. Cette assimilation entre industrie et nuisances est alors tellement prégnante que le comité d’entreprise des fonderies de Choisy redoute que soit ordonnée la fermeture de l’usine en réponse aux réclamations des riverains, mais elle se maintiendra jusqu’en 2001. En revanche, dévoreur d’espaces, de ressources multiples et d’énergie, le secteur tertiaire n’est pas beaucoup moins écophage que l’industrie, mais son empreinte environnementale est moins visible.
Les problématiques environnementales acquièrent une réelle résonance dans la société et dans la sphère politique. Persuadés de l’imminence d’une catastrophe écologique, les militants appellent à une transformation complète de la société. Ce désir de changement contribue à l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, dont l’une des premières réformes est la décentralisation en 1982 qui permet aux collectivités territoriales, dotées de nouvelles compétences, de s’engager sur les sujets sociaux et environnementaux. Dès 1984 soit le « tournant de la rigueur », les impératifs de réalisme entraînent une mue des militants pour l’environnement vers une posture plus consensuelle en matière d’écologie.
À l’issue de deux décennies de crises et de montée en puissance des préoccupations écologiques, une synthèse optimiste semble s’imposer sous le signe du « développement durable », doctrine proposant de concilier objectifs de la protection de l’environnement et impératifs de la croissance économique (Rapport des Nations Unies Brundtland, 1987). Au coeur de la loi sur l’eau de 1992 qui articule préservation des « écosystèmes aquatiques » et valorisation économique de la ressource eau, cette notion virale inonde la sphère publique à partir des années 1990 et scelle une neutralisation des préoccupations pour l’environnement.
1. Concilier modernité et préservation de la nature
Une recherche d'équilibre entre nature et ville ?
Dans les années 1970, les politiques d’aménagement régionale et départementale traduisent un changement : dans le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de l’Île-de-France (SDAURIF) de 1976 on renonce à construire certaines zones qu’il était prévu d’urbaniser en 1965 au profit de l’exigence de 10 m² d’espace vert par habitant. Cette tendance et la création de différentes catégories d’espaces verts tels que les « Zones Naturelles d’Équilibre » (ZNE) et la « trame verte » révèlent le changement des priorités, du logement, une fois ce problème largement résolu, vers l’amélioration de la qualité et du cadre de vie. Dans la sphère politique, la nature est opposée à la ville et à ses nuisances, la préserver revient à conjurer l’étalement urbain et la « défiguration des paysages » pour reprendre les termes du président Georges Pompidou, lui-même ayant accompagné l’artificialisation de l’environnement. Le service des espaces verts du département du Val-de-Marne est créé en 1972 afin d’étendre et développer les espaces de nature en son sein. Il est étoffé par Roland Nungesser, rapporteur de la loi de protection de la nature de 1976, initiateur de la création du parc du Tremblay et du premier plan décennal visant à préserver et étendre le patrimoine vert du département (+353 % entre 1970 et 1990).
Cependant, aussi valorisée soit-elle, la nature est protégée dans une perspective anthropocentrée et fonctionnelle : plantation d’alignement le long des voies de circulation pour l’agrément ; création de bases de loisirs pour la pratique de sports en plein air ; ménagement de zones vertes tampon entre villes pour le délassement de l’oeil ; sanctuarisation de bois pour la promenade récréative ou éducative.
Enfin, quand chacun revendique un espace de nature à soi, les pavillons fleurissent et le mitage du territoire se poursuit au détriment de la continuité et de la préservation des écosystèmes.
Pour aller plus loin
Extrait d'archives audiovisuelles sur les espaces verts.
Découvrez le documentaire "Une vision verte : Pierre Dauvergne un paysagiste en Val-de-Marne".
Détritus : vers l’impératif de valorisation
Tandis que la consommation des individus en eau augmente (+20 % entre 1906 et 1990), les réalisations en matière d’assainissement parviennent à compenser le retard des équipements relativement à la production d’eaux usées au sein de la région parisienne entre 1970 et 1990. Ainsi, dès 1975, 72 % des eaux collectées sont traitées contre 15 % en 1960. La station d’épuration de Valenton, mise en service en 1987 dans le cadre de l’opération régionale « Seine propre », permet d’absorber la quasi-totalité des effluents de l’agglomération parisienne. Mais ces années sont marquées par la découverte du problème de la gestion des eaux de pluie et de leurs pollutions. Même si le droit consacre en 1992 la « préservation des écosystèmes aquatiques » et que des pêcheurs val-de-marnais notent une amélioration de la faune piscicole et le retour des écrevisses et des goujons dans le département en 1990, des polluants présents dans les cours d’eau empêchent le retour à la baignade.
Par ailleurs, rien n’enraye la progression des déchets entre 1960 et 1992, les ordures ménagères, par exemple, croissent de 90 % dans ces années (de 220 à 419 kg/hab/an). Pour faire face à cette situation, des schémas départementaux de traitement des résidus urbains organisent la modernisation des équipements. Une usine d’incinération est ainsi installée à Créteil en 1979 après celle d’Ivry-sur-Seine. Parallèlement des campagnes de sensibilisation invitent les habitants à faciliter la gestion des immondices tandis que la récupération et la valorisation des déchets revient à l’honneur après le premier choc pétrolier. Elle est prescrite par la loi de 1975 visant leur élimination « dans des conditions propres à faciliter la récupération des matériaux, éléments ou formes d’énergie réutilisables » (art. 15). Ce texte reste cependant peu appliqué jusqu’à la promulgation de la loi de 1992 qui introduit la notion de « déchet ultime » généralisant l’impératif de valorisation.
2. Une révolution écologique ?
“Cette société non”! De la contestation des nuisances au cri d’alarme écologique.
Dans les années 1970, une nébuleuse de mouvements écologistes constituée de simples citoyens, de syndicalistes et de militants de tous bords, tend à se structurer et à se faire entendre. L’écologie rassemble autour de la défense de l’environnement et du rejet de l’industrialisme. Les mobilisations qui s’en revendiquent contestent des projets d’infrastructure ou d’aménagement spécifiques, alertent l’opinion sur des épisodes de pollutions et destructions d’écosystèmes ou encore luttent contre le gaspillage.
Avec et après la candidature écologiste de René Dumont (mort à Fontenay-sous-Bois en 2001) aux élections présidentielles de 1974, les catastrophes, débats et controverses environnementaux sont davantage médiatisés. Au-delà du cri d’alarme sur l’imminence de la crise écologique, le candidat propose un projet alternatif et global de société.
Dans son sillage, plusieurs candidats « verts » indépendants se revendiquant « sans étiquette » obtiennent de bons résultats aux élections locales de 1976-1979. Ils remportent plus de 21 % des scrutins à Villecresnes, autour de 10 % à Santeny, Mandres-les-Roses, Fontenay-sous-Bois, Saint-Mandé aux municipales de 1977, villes où la société civile défend activement son environnement. À Villecresnes, par exemple, l’ADEV (association de défense de l’environnement de Villecresnes) fait interrompre le projet de passage de l’autoroute A5 par la commune en 1975 tandis qu’à Mandresles- Roses, des militants luttent contre la construction d’une ZAC à proximité de la Zone Naturelle d’Équilibre du plateau Briard. Ces réussites sont cependant davantage liées à des contextes sociologiques et politiques locaux qu’à une adhésion véritable aux projets écologistes, qui promeuvent une refonte de la société prenant acte de son interdépendance vis-à-vis de la nature et du vivant. Au niveau national, cependant, prenant aussi le tournant du « réalisme », un mot employé pour dénigrer les combats environnementaux, les écologistes abandonnent leur radicalité au profit d’une recherche de concertation et se constituent en parti en 1984, les Verts.
La lutte anti-nucléaire à Fontenay-sous-Bois
C’est pour offrir une caisse de résonance à la lutte anti-nucléaire que la section fontenaysienne des Amis de la Terre, association pour la protection de l’environnement et des droits humains, décide de fonder un parti politique en 1976, La Belle de Fontenay. Elle s’associe à l’Imprimerie Quotidienne d’obédience anarchiste et monte une liste électorale en recourant aux petites annonces. Mariant audace graphique et slogans caustiques ce parti incarne une contestation anti-système, rejetant le matérialisme et l’idéologie du progrès technique. Malgré ses résultats aux élections municipales de 1976, 7 % des suffrages (1421 voix), soit plus qu’attendu par ses candidats, ce parti actif jusqu’en 1983, imprègne sa marque dans le paysage politique fontenaysien.
Les énergies alternatives ou renouvelables
Dans le contexte du tournant environnemental, des chocs pétroliers et de la peur d’un épuisement global des ressources, les énergies renouvelables dites « nouvelles » connaissent un regain d’intérêt après 1971. Envisagées par les pouvoirs publics dans une optique de substitution aux ressources fossiles afin de prolonger la croissance, les militants y voient la « matrice » d’une relation renouvelée des hommes à la nature et d’une société sobre.
Des associations se créent pour étudier et développer les énergies douces, l’une d’elles est fondée à La Queue-en-Brie en 1978. Des particuliers relayent des propositions d’alternatives auprès des autorités. Un Choisyen plaide ainsi auprès du Président de la République pour la mise en culture de friches et terres domaniales afin de produire des euphorbes, végétal dont les sucs contiennent un hydrocarbure. L’énergie solaire véhicule une aspiration à la sobriété et une volonté de production décentralisée. Des immeubles sont équipés de capteurs photovoltaïques chauffant les eaux sanitaires à Créteil à partir de 1978, tandis qu’y sont conçus des bâtiments bioclimatiques afin d’exploiter leur exposition au soleil et minimiser les besoins énergétiques. Mais ces expériences isolées ne font pas dévier la trajectoire toujours plus forte d’une société reposant sur l’énergie fossile.
Autre alternative aux hydrocarbures, l’énergie nucléaire se généralise. Le plan Messmer, lancé en mai 1974, suscite la construction de quatre à six réacteurs par an en France jusqu’en 1985. L’un d’eux, installé en Seine-et-Marne en 1975, entraîne des contestations dans le Val-de-Marne.
Enfin, le département investit dans la géothermie, technique qui consiste à exploiter la chaleur des nappes d’eau souterraines et qui chauffe 13,5 % du parc immobilier Val-de- marnais en 2008. Cependant, en 1990, les énergies fossiles dominent encore le mix énergétique du département.
Jouez !
Reconstituez les pièces des puzzles !