Le Val-de-Marne et les Val-de-Marnais dans la Seconde Guerre mondiale : une mise en perspective

Quand commence la Seconde Guerre mondiale, le Val-de-Marne n’existe pas encore. L’actuel département correspond au sud-est parisien. Une partie appartient au département de la Seine qui intègre la ville de Paris. L’autre partie dépend du département de Seine-et-Oise qui entoure le précédent. Le sud-est parisien est partiellement urbanisé. Des villes industrielles et ouvrières se sont développées le long de la vallée de la Seine (Choisy-le-Roi, Vitry-sur-Seine, Alfortville) tandis que d’autres ont un caractère plus résidentiel et bourgeois (Nogent-sur-Marne, Saint-Maur-des-Fossés, Vincennes). Les activités rurales l’emportent encore largement en Seine-et-Oise (La Queue-en-Brie, Boissy-Saint-Léger, Mandres-les-Roses), même si des cités ouvrières se sont développées autour de la gare de triage de Villeneuve-Saint-Georges.

Les Val-de-Marnais actuels suffisamment âgés pour avoir connu la Seconde Guerre mondiale n’habitaient pas tous à l’époque le sud-est parisien. Beaucoup s’y sont installés après la guerre au gré de leur parcours personnel. Leur milieu familial ou professionnel, leurs engagements individuels ou collectifs reflètent la diversité des situations des femmes et des hommes qui ont vécu cette période douloureuse. De même, la précision de leurs souvenirs ou leurs trous de mémoire soulignent la richesse et la fragilité des témoignages, sources indispensables et précieuses qui doivent autant que possible être complétées par d’autres documents.

Faire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale dans l’actuel Val-de-Marne, c’est donc faire l’histoire d’un territoire mais aussi celle de ses habitants, l’une et l’autre croisant constamment l’histoire générale du conflit en France et en Europe, voire dans le monde.

Quand la guerre éclate en septembre 1939, le sud-est parisien est immédiatement touché. Outre la mobilisation des hommes en état de combattre, la diffusion des consignes de la Défense passive et l’évacuation d’une partie des enfants des villes de banlieue dans les zones rurales jugées plus protégées des bombardements montrent que la guerre est devenue une réalité. A la suite de la signature du pacte de non-agression entre l’Allemagne de Hitler et l’URSS de Staline, le gouvernement français décide l’arrestation et l’internement d’élus et de responsables communistes. Certaines communes du sud-est parisien, dominées par le Parti communiste depuis les élections des années 1930, en particulier celles de 1936, perdent une grande partie de leurs élus et de leurs cadres politiques.

La Drôle de Guerre prend brutalement fin avec le déclenchement de l’offensive allemande en mai 1940. A la mi-juin, Paris est occupée comme les communes de banlieue. Les troupes allemandes s’installent durablement, tandis que l’occupant transmet ses ordres depuis les Kommandanturs, l’administration française du nouveau gouvernement de Vichy devant mettre en œuvre la politique de collaboration. Les élus ou les fonctionnaires considérés comme peu fiables par les responsables de l’Etat français sont remplacés ou révoqués. Les partisans déclarés ou supposés du Front populaire sont les premiers visés.

Le sud-est parisien comme l’ensemble de l’agglomération parisienne subit les conséquences de la défaite, de l’occupation et de la collaboration. A l’été 1940, des milliers de soldats français originaires du sud-est parisien se retrouvent prisonniers de guerre en Allemagne ; dès l’automne 1940, les principales activités économiques sont détournées au profit de l’effort de guerre de l’Allemagne, les produits les plus divers sont réquisitionnés par l’occupant, l’Etat français se chargeant de gérer la pénurie et le rationnement. A partir de 1942, le gouvernement de Vichy accepte de livrer à l’Allemagne les travailleurs français, en particulier les plus jeunes, en échange du retour des prisonniers de guerre, qui ne rentrent en réalité qu’au compte goutte. Dès l’automne 1940, l’occupant comme l’Etat français prennent un ensemble de mesures visant à marginaliser les juifs de la région parisienne. En 1941, les premières rafles d’hommes juifs sont organisées à Paris. Cette politique de persécution prend une tournure encore plus dramatique avec la rafle du Vel’ d’Hiv’ qui permet l’envoi dans des camps d’internement en France puis vers les camps d’extermination en Pologne de familles entières. Les juifs des communes du sud-est parisien sont traqués comme l’ensemble des juifs de France. Certains fuient vers les régions réputées plus sûres, au moins pour un temps ; tous cherchent, quand ils le peuvent, à protéger leurs enfants, le plus souvent en les confiant à des familles ou des centres d’accueil. Dans l’actuel Val-de-Marne, plusieurs centaines d’enfants juifs sont cachés et sauvés, mais des centaines d’autres sont déportés et assassinés dans les camps de la mort.

Les premiers signes d’opposition et de résistance sont repérables dès 1940. Les troupes d’occupation sont confrontées à des actes d’hostilité ou de mépris, souvent encore individuels et spontanés. Rapidement, dans la banlieue ouvrière, des actions plus organisées se développent contre l’occupant et les collaborateurs. Elles prennent d’abord la forme de manifestations et de distributions de tracts ou de journaux clandestins. A partir de 1941, commencent les premières actions armées, attentats contre les matériels et les troupes de l’occupant ou contre les équipements et les personnes qui servent ses intérêts.

Malgré une répression de plus en plus brutale, qui multiplie exécutions par fusillade et déportations, la Résistance est très active dans le sud-est parisien : si les organisations communistes dominent, la Résistance locale est à l’image de la Résistance nationale : diverse et soucieuse d’unité à partir de 1943, dans la perspective de la Libération. L’intensification des bombardements alliés à l’approche du débarquement tant attendu suscite l’inquiétude dans les secteurs les plus exposés où se trouvent les grands établissements industriels ou les principaux nœuds de communication, en particulier ferroviaires. Après le débarquement en Normandie, la tension et l’espoir augmentent : les manifestations du 14 juillet 1944 sont très suivies et le sud-est parisien contribue au lancement de l’insurrection à Paris et dans sa région. Les unités de la 2e DB qui rejoignent Paris pour soutenir le soulèvement des FFI et de la population parisienne traversent des communes de l’actuel Val-de-Marne. Les résistants s’emparent des mairies et participent aux combats libérateurs.

Aussitôt après la Libération de la région parisienne, des centaines de jeunes résistants s’engagent dans l’Armée française pour continuer la lutte contre l’Allemagne nazie. En effet les prisonniers de guerre, les requis du travail et les déportés ne sont toujours pas rentrés. Certains de ces jeunes militaires engagés meurent lors des campagnes de France et d’Allemagne. La plupart connaissent les moments heureux de la victoire, parfois ternie par la découverte des camps de concentration nazis libérés.

Les prisonniers, requis et déportés qui rentrent retrouvent un pays en pleine transformation. Les premières élections ont eu lieu, auxquelles les femmes ont pu participer pour la première fois. Le gouvernement provisoire de la République française jette les bases de la refondation et de la reconstruction de la France, par un ensemble de réformes ambitieuses, inspirées pour partie par le programme du Conseil national de la Résistance. Les espérances et les attentes sont grandes, alors que les problèmes économiques et sociaux demeurent encore très nombreux dans un pays affaibli par le conflit qui vient de s’achever.

Les Val-de-Marnais actuels, pour beaucoup venus de tous les horizons de France et du monde, sont peu nombreux à avoir connu ces moments d’incertitude et résolution, d’inquiétude et d’espérance, de détresse et de d’euphorie. Ces quelques paroles de leurs compatriotes leur rappelleront ce que furent ces années noires pour celles et ceux qui durent les affronter. Sans doute en tireront-ils des leçons de courage, de solidarité et de vigilance pour aujourd’hui et pour demain.

Bibliographie

Jean-Pierre Azémaet François Bédarida (dir.), La France des années noires, tome 1 : « De la défaite à Vichy » et tome 2 : « De l’Occupation à la Libration », coll. Points, Le Seuil, 2000.

Thomas Fontaine, Denis Peschanski , La Collaboration 1940-1945. Vichy, Paris, Berlin, Paris, Tallandier, 2014, 320 p.

Jean Lopez, Nicolas Aubin, Vincent Bernard, Nicolas Guillerat, Infographie de la Seconde guerre mondiale, Perrin, 200 p, 2018.

Denis Peschanski,  Les Années noires, Paris, Hermann, 2012, 230 p.

Claude Quétel, La Seconde Guerre mondiale, Perrin, 672 p, 2018.

Henry Rousso, Les années noires. Vivre sous l’Occupation, Gallimard, 1992.

Serge Wolikow, La Seconde Guerre mondiale au travers des archives du Val-de-Marne, tome 1 : « 1939-1942 », Le Cherche Midi, 2004 et tome 2 : « 1943-1945 », Le Cherche Midi, 2005.

La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004 (DVD-Rom).

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