Gratuit, obligatoire et laïque, l'enseignement primaire voit l'introduction dans ses programmes de l'instruction morale et civique, et de l'éducation physique et militaire. Dans son manuel L'Instruction civique à l'école, Paul Bert justifie cette orientation par la nécessité de " former des citoyens " que l'amour de la France poussera " à se dévouer, s'il le faut, soit pour le salut de la Patrie, soit pour la défense des principes dont le triomphe a fait [d'eux des] homme[s] libre[s] ".
L'éducation physique, quant à elle, vise à " initier les enfants aux devoirs qui les attendent au régiment ", et la confusion entre exercices gymnastiques et exercices militaires est volontairement entretenue. L'éphémère expérience des bataillons scolaires pousse encore plus loin la militarisation des enfants, qui y apprennent à manier le fusil. Les sociétés de gymnastique et de tir ainsi que les sociétés de préparation militaire qui se forment au lendemain de la défaite pour " développer les forces physiques et morales des jeunes gens " et " préparer au pays des hommes robustes et de vaillants soldats " se voient encouragées par les autorités.
Dès leur entrée à l'école primaire, les enfants baignent donc dans un patriotisme ayant pour but ultime la reconquête des provinces perdues. Les livres de lecture courante diffusent le modèle d'enfants héroïques, petits Alsaciens-Lorrains ayant fait preuve de courage pendant les affrontements de 1870 ou exprimant leur profond désir de revanche par ces mots : " c'est nous, les petits écoliers d'aujourd'hui, les soldats de demain, c'est nous qui reprendrons l'Alsace aux Prussiens ".
Selon les mots d'une institutrice de Créteil, les poilus " subissent [...] le plus douloureux des martyres dans l'unique espoir d'éviter à leurs enfants bien-aimés les horreurs du cauchemar dans lequel ils vivent ". Un lien fort est donc créé entre les soldats et les enfants, puisque ces derniers doivent se montrer dignes du sacrifice consenti pour eux sur le front. Dans une rédaction, un enfant de douze ans l'exprime très bien en décrivant le passage de mutilés : " ces glorieux blessés ont l'air de se dire : "si ces enfants jouent là si tranquillement, c'est grâce à nous". Les enfants sentent qu'ils ont une dette de reconnaissance à payer à leurs braves défenseurs et il est vraiment touchant de les voir saluer de leurs mignonnes mains ces hommes rudes ".
La propagande à destination des adultes utilise massivement cette image de l'enfant, soutien moral de son père au front, admiratif et respectueux devant le soldat blessé, ou victime des exactions ennemies. Cartes postales et affiches, réalisées à l'occasion des emprunts pour la défense nationale ou pour les journées patriotiques, contribuent à la répandre massivement. On trouve même des enfants qui, au quotidien, portent calot ou képi militaire pour les petits garçons, et coiffe alsacienne pour les petites filles. Les enfants sont également mis en avant par la littérature, qu'ils soient victimes ou héros. La description d'actes héroïques perpétrés par de très jeunes enfants n'est pas un phénomène nouveau, mais il participe, au cours du conflit, à exalter l'héroïsme du quotidien.
Devant l’intensification des bombardements allemands sur la capitale l’évacuation des enfants de l’agglomération parisienne vers la province est notamment proposée au printemps 1918. Les dispositifs d’alerte, d’exercice, et de mise à l’abri des enfants des écoles sont renforcés.
La loi du 5 août 1914 institue pour les familles privées de leur soutien indispensable le système des allocations militaires, dans lequel chaque enfant de moins de seize ans est comptabilisé. Des secours en nature sont également apportés aux familles nécessiteuses. Les enfants en sont une des cibles privilégiées, avec l’organisation de consultations gratuites et de l’approvisionnement en lait pour les nourrissons, la mise en place de cantines scolaires, et de distribution de galoches et de tabliers.
Les orphelins se trouvent également au cœur de la solidarité. Les associations nationales ou locales, laïques ou confessionnelles, mais aussi corporatives organisent des « journées » pour récolter des fonds servant à accorder des pensions, développer l’apprentissage, et faire fonctionner des orphelinats. Une pension est attribuée aux veuves et aux orphelins de guerre dès le début du conflit mais il faut attendre 1917 pour que soit votée la loi sur les pupilles de la Nation. Selon le principe d’un droit à réparation pour les enfants des héros tombés au champ d’honneur, elle instaure leur adoption par l’État, et leur prise en charge jusqu’à leur majorité.
Le besoin d’encadrement des enfants se fait d’autant plus sentir que le départ des pères pour le front provoque un relâchement de l’autorité. La reprise de l’école dès que les circonstances le permettent, en octobre 1914, et la lutte contre l’absentéisme le prouvent. Les patronages prennent le relais les jeudis et dimanches, organisant activités ludiques et sportives tout en assurant une prise en charge religieuse des enfants.
Le discours spécifique élaboré à l’intention des écoliers est destiné à expliquer les causes de la guerre, mais aussi à propager la haine de l’ennemi, et à héroïser les soldats français et alliées. Les moyens pédagogiques mis en œuvre sont variés.
La contamination guerrière s’étend aux loisirs. Jeux de l’oie, de stratégie et d’adresse sont revisités selon l’actualité des combats, tandis que panoplies de soldats et d’infirmières, canons miniatures et soldats de plomb, poupées alsaciennes ou vêtues couleur bleu horizon s’offrent à Noël dans les familles aisées. Les périodiques consacrent une grande partie de leur contenu au conflit, et leur héros s’en vont en guerre, comme Bécassine dans La Semaine de Suzette. Les images d’Épinal et les planches illustrées, largement diffusées, reprennent à leur compte ce discours de mobilisation, dont les enfants semblent être imprégnés jusque dans leurs jeux d’imagination spontanés, puisqu’on les voit fréquemment « jouer à la guerre ».
En classe, les élèves sont incités à épargner afin de contribuer à diverses souscriptions en faveur des poilus ou des prisonniers, des orphelins ou du " petit peuple serbe ".
Pendant les journées patriotiques ils sont réquisitionnés pour quêter sur la voie publique. On demande également aux filles de confectionner lainages et tricots qui seront envoyés aux soldats sur le front. Pour récolter des fonds, les patronages organisent des représentations dans lesquelles jeunes filles et jeunes garçons se font acteurs. Des places au premier rang sont réservées pour les enfants des écoles lors des cérémonies patriotiques, qu'il s'agisse de rendre hommage aux défunts à la Toussaint, d'assister à des obsèques militaires, ou d'accompagner le départ d'un groupe de conscrits.
Mis à contribution pour la défense nationale, les enfants ramassent les marrons nécessaires à la fabrication de l'acétone et récoltent les chiffons de coton entrant dans la composition de la poudre. Cette " main d'oeuvre scolaire " est sollicitée à partir de 1916 pour cultiver les terres en friche, afin de contrer l'élévation du coût des denrées et d'éviter les importations.
Les principaux lieux de vie des enfants, écoles et patronages, sont réquisitionnés pour le cantonnement des troupes et l’accueil des blessés, ce qui perturbe le déroulement habituel de leurs activités. Les fournitures scolaires se raréfient, et le chauffage des locaux scolaires est rendu difficile par la pénurie de charbon. Les produits alimentaires sont rationnés. Privilégiés, les enfants de moins de trois ans obtiennent une quantité plus importante de sucre, tandis que des réclamations s’élèvent contre les effets du pain complet sur leur digestion.
Les petits réfugiés venant des territoires envahis ont pu connaître l’oppression de l’ennemi tandis qu’à Paris et dans les communes suburbaines, les enfants sont confrontés à la peur des bombardements. Les accidents dans les usines travaillant pour la défense nationale représentent également un risque, alors que la mise au travail des enfants s’effectue dès la sortie de l’école afin d’augmenter le revenu des familles nécessiteuses.
L’univers enfantin se trouve entièrement bouleversé par la mobilisation générale. L’absence de figure paternelle pèse sur la vie familiale. Entre deux permissions, la correspondance permet de garder un lien malgré la distance. Les pères y voient un moyen de poursuivre l’exercice de leur autorité, mais également d’exprimer leur affection avec d’autant plus de tendresse que leur avenir est menacé. Alors que l’annonce de la mauvaise nouvelle brise définitivement la cellule familiale, le deuil intime vécu par tant de familles s’insinue dans l’espace public.
Cette exposition a été réalisée par le Cercle d'études généalogiques et démographiques du Val-de-Marne, le Comité de liaison des sociétés d'histoire et d'archélogie du Val-de-Marne, la Fondation du Patrimoine, l'Institut d'Histoire Sociale du Val-de-Marne, Itinéraires et histoire ouvrière en val-de-Marne avec la direction des Archives départementales du Val-de-Marne. Le format web est une adaptation du catalogue d'exposition.
Crédits photographiques : Archives départementales du Val-de-Marne.
Graphisme inspiré du catalogue d'exposition réalisé par le collectif Au fond à gauche, Bruno Charzat et Guillaume Lanneau.